La Région organise ce 3 avril une conférence de soutien aux minorités du Moyen-Orient victimes de violences religieuses, ethniques et sexuelles. À cette occasion, interview d'Élise Boghossian, fondatrice et présidente d'EliseCare, une ONG que la Région soutient et qui soigne les minorités persécutées en Irak grâce à ses cliniques mobiles.
En quoi consiste votre action en Irak ?
Élise Boghossian : EliseCare a été créée en Irak il y a quatre ans : quand Daesh a pris possession des grandes villes comme Qaraqosh, Mossoul ou Sinjar, les habitants, chrétiens, yézidis, shabacks, ont été chassés, persécutés, avant de se réfugier dans le nord du pays. Nous nous sommes alors mobilisés, dans les zones militaires sécurisées, pour apporter des soins de santé à ces minorités du Moyen-Orient.
Les cliniques mobiles sont pour nous le meilleur moyen de toucher un maximum de personnes sur un aussi grand territoire ! L’aide de la Région nous a ainsi permis d’acquérir un nouveau véhicule pour aller à la rencontre des personnes déplacées, dont beaucoup de femmes et d’enfants.
De quels types de pathologies souffrent ces populations ?
E. B. : Nous rencontrons toutes sortes de pathologies. Nous assurons des soins de santé primaire : ceux qui concernent les maladies chroniques ou infectieuses, ou encore le suivi des grossesses, mais surtout des soins à long terme avec un gros programme de santé mentale, car nous avons affaire à une population de survivants de Daesh, en particulier femmes et enfants, victimes des pires violences : viol, torture, enrôlement de force pour les enfants, et souffrant de grands traumatismes.
Dans notre programme psychiatrique, nous travaillons en entretiens individuels, et en atelier : ce matin par exemple, nous avions un groupe de vingt enfants de dix ans, enlevés à sept ans par Daesh : témoins d’exécutions à Raqqah, ou du viol de leurs sœurs à Mossoul. Certains ne parlent plus, d’autres sont au contraire hyperactifs ou sujets à des poussées de violence, des terreurs nocturnes... Nous accompagnons aussi au quotidien beaucoup de jeunes filles qui n’ont toujours pas eu de puberté car violées très jeunes d’innombrables fois. Le travail sera très long, on essaie de les accompagner au quotidien.
Ces enfants nous disent qu’ils ne peuvent pas imaginer que le monde puisse être meilleur. Et nous, nous constatons à quel point l’homme peut descendre bas.
Avez-vous bon espoir que ces populations se remettent de ces persécutions ?
E. B. : J’ai beau gérer depuis quatre ans les équipes sur place, quarante salariés, des volontaires, des bénévoles, c’est difficile de s’habituer. Pour tenir, il faut réussir à dissocier ce qu’on voit là du reste. Nous avons parfois des personnels qui ne peuvent pas continuer tellement c’est difficile.
Heureusement, les enfants sont des graines de résilience fantastiques ! Il y a deux mois, nous avons accueilli le petit Adnan : il a assisté à l’exécution de toute sa famille, il a été enfermé dans le noir... Aujourd’hui, il tire le groupe vers le haut, il soutient et console les autres, il se blottit dans nos bras : en deux mois, Adnan s’est transformé ! Il veut vivre, on le voit dans ses yeux qui se sont remis à sourire. Mais nous recevons également des jeunes filles devenues des fantômes, et on se demande si elles se remettront de ce qu’elles ont subi. Il faut surtout continuer, quand on voit ce qu’on a réussi à faire, et surtout tout ce qu'il reste à accomplir !
EliseCare
Depuis 2014, l'ONG EliseCare sillonne le nord de l’Irak avec ses cliniques mobiles, pour venir à la rencontre des populations réfugiées ou déplacées, principalement issues des minorités ethniques et religieuses, persécutées par Daesh : Chrétiens, Yésidis, Chiites, Shabacks et Sunnites. Spécialisée dans le traitement de la douleur, elle a ainsi dispensé plus de 100 000 soins gratuits en Irak.
Pour en savoir plus et aider l’association : www.elisecare.org
Le soutien de la Région
Dans le cadre du Fonds de soutien aux minorités du Moyen-Orient, la Région a participé en 2016 à la construction de la clinique de l'ONG à Zakho à hauteur de 100 000 euros.
En 2017, une subvention régionale de 50 000 euros a permis à EliseCare d’acquérir une clinique mobile supplémentaire. Celle-ci accueille une équipe médicale recrutée parmi les réfugiés. Elle se compose d’un médecin, d’un infirmier, d’un pharmacien et d’un chauffeur. Six jours par semaine, elle visitera un à deux sites par jour. EliseCare estime que la clinique mobile du district de Qaraqosh sera en capacité d’offrir 1 200 soins par mois, avec une moyenne de 50 par jour.
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