Paroles de femmes Fondatrice de SEM Habitat Durable, une agence immobilière solidaire et innovante, Stéphanie Edmond-Mariette a remporté le concours Créatrices d’avenir 2024. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le 8 mars, nous l’avons rencontrée pour évoquer son parcours et l’initiative qu’elle porte depuis 2 ans pour le logement des plus fragiles.
En 2022, Stéphanie Edmond-Mariette a fondé SEM Habitat Durable. Une entreprise innovante qui met en lien des propriétaires privés de biens immobiliers avec des associations qui œuvrent au logement des plus publics les plus précaires. Un engagement solidaire qui lui a permis de remporter en septembre dernier le concours Créatrices d’avenir, un Prix dédié à l’entreprenariat féminin organisé par Réseau Initiatives Île-de-France et dont la Région est partenaire.
À l’occasion du 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, nous sommes allés à sa rencontre pour en savoir plus sur son parcours, son action au quotidien au travers de SEM Habitat Durable et la façon dont elle envisage l’entreprenariat au féminin.
Rencontre avec une francilienne engagée
Parlez-nous de votre parcours et de ce qui a fondé votre engagement sociétal ?
Stéphanie Edmond-Mariette : J’ai grandi à Bordeaux en famille d’accueil. À 18 ans, je n’avais pas de solution pour me loger et je me suis retrouvée à la rue. C’est à ce moment que j’ai rencontré une association qui louait des biens immobiliers à un propriétaire et qui m’a hébergée. J’ai donc pu faire mes études et par la suite travailler dans l’immobilier pendant une quinzaine d’années, notamment chez des bailleurs sociaux.
Quel a été le déclic pour lancer SEM Habitat Durable ?
S. E.-M. : En 2022, à 32 ans, j’ai décidé de me lancer dans l’entrepreneuriat et de créer quelque chose qui avait du sens et de l’impact pour les gens. J’ai donc créé SEM Habitat Durable. Le but de cette société est de redonner la chance que j’ai eue. C’est-à-dire de travailler avec des propriétaires engagés qui confient leurs biens à des associations pour héberger les personnes qui en ont le plus besoin et leur offrir un tremplin vers l’avenir.
Concrètement comment fonctionne SEM Habitat Durable ?
S. E.-M. : Nous avons noué des partenariats avec des associations comme la Croix-Rouge, les Apprentis d’Auteuil ou encore le Groupe SOS. Ces associations sont mandatées par l’État pour héberger des personnes dans le besoin. Notre travail, c’est de recenser leurs besoins. Nous travaillons avec des propriétaires privés qui ont des biens à louer et nous les sollicitons pour qu’ils acceptent de les louer à ces associations. Donc, si vous êtes propriétaire et que vous avez un bien à mettre en location, vous pouvez nous contacter via notre site internet et nous gérons toute la mise en location et nous vous rémunérons chaque mois.
Les propriétaires louent-ils à des tarifs préférentiels ?
S. E.-M. : Non, ils les louent au prix du marché, car notre volonté est vraiment que tout le monde s’y retrouve et que le propriétaire ne soit pas lésé. Les associations fonctionnent avec des conventions signées avec les bailleurs sociaux et nous venons en complément avec des offres au prix du marché. Notre action repose sur un écosystème et sur le travail collectif. J’ai d’ailleurs moi-même investi dans l’immobilier et je loue à la Fondation des Apprentis d’Auteuil.
Après 2 années, quel est le bilan de votre action ?
S. E.-M : Nous travaillons actuellement avec une centaine de propriétaires, dont de nombreux multipropriétaires, et une vingtaine d’associations partenaires. En 2024, nous avons logé plus de 500 personnes.
Nous logeons des femmes victimes de violences, des femmes exilées, des personnes en situation de handicap, âgées ou malades... Il s’agit de tout un pan de la population qui a du mal à accéder au logement.
Stéphanie Edmond-Mariette
Quels sont les profil des locataires ?
S. E.-M. : Nous logeons beaucoup de jeunes de l’Aide sociale à l’enfance qui connaissent les problèmes que j’ai moi-même connus. Nous logeons également des femmes victimes de violences, des femmes exilées, des personnes en situation de handicap, âgées ou malades... Il s’agit de tout un pan de la population qui a du mal à accéder au logement.
Quel est votre rayon d’action ?
S. E.-M. : En tant que Bordelaise d’origine, Bordeaux est un ma ville de prédilection. Mais nous logeons également des gens à Marseille, Montpellier, dans les Hauts-de-France, et bien-sûr en Île-de-France. Globalement, nous n’allons pas chercher des logements dans des quartiers défavorisés. Nous en avons par exemple dans le 8e arrondissement à Paris. Le but est de créer de la mixité.
Avez-vous fait face à des appréhensions ou des craintes chez les propriétaires ?
S. E.-M. : Bien-sûr qu’il y a des peurs au début. Mais ensuite, dès lors qu’ils louent leur bien et que cela se passe bien une fois, deux fois, trois fois, cela passe. Nous arrivons à répondre à ces craintes. Si les biens sont dégradés, l’association prend en charge les réparations. Idem pour le paiement des loyers qui sont assurés par l’association. Au final, nous arrivons donc à lever ces peurs car c’est un bon système pour tout le monde et cela répond à une utilité sociale.
Quelles sont vos perspectives pour SEM Habitat Durable ?
S. E.-M. : Notre ambition est d’être présents dans toutes les villes de France, et même dans la ruralité. C’est important de ne pas être obligé de venir en ville car on n’a pas trouvé de solution dans la ruralité. Nous souhaitons également nous positionner et couvrir encore mieux l’Île-de-France. Enfin, d’ici 3 à 5 ans, l’objectif sera d’aller sur des marchés européens et internationaux : l’Espagne, l’Allemagne, le Royaume-Uni.
Êtes-vous soutenus par des acteurs publics ?
S. E.-M. : Nous sommes aidés sous forme d’accompagnement par la Région Île-de-France et par Initiatives France. Nous sommes également soutenus et épaulés par la Ville de Paris et l’intercommunalité Est Ensemble qui nous accueille à Montreuil (93), là où tout a commencé pour nous.
Favoriser l'emploi et l'entrepreneuriat féminin
Pensez-vous qu’il existe une spécificité de l’entrepreneuriat féminin ?
S. E.-M. : Ah oui ! Durant mon parcours dans l’entrepreneuriat, j’ai d’abord été accompagnée par des structures « généralistes », puis plus tard par la fédération Les Premières qui est spécialisée dans l’entreprenariat féminin. Et j’ai tout de suite vu la différence ! Déjà du point de vue financier, les femmes vont plutôt penser à payer les autres avant de se payer elles-mêmes correctement. On sait que les femmes sont moins payées que les hommes, et même lorsqu’on est cheffe d’entreprise, on a tendance à se l’appliquer à soi-même. Aborder le business est également beaucoup plus facile pour un homme que pour une femme. L’accès aux financements a été compliqué pour moi au départ et c’est aussi le cas pour pas mal de femmes. Quand on va chercher des financements, on ne nous pose pas les mêmes questions que celles que l’on pose aux hommes, notamment par rapport à la vie familiale, aux enfants et au temps que cela va nous prendre. Enfin, je dirais que dans l’entrepreneuriat, les femmes vont beaucoup plus réfléchir au bien-être des collaborateurs et à l’impact de leur action sur la société, quand les hommes seront seulement focalisés sur la performance.
Avez-vous privilégié des recrutements féminins dans votre société ?
S. E.-M. : Oui. Tous les postes clefs dans ma structure sont occupés par des femmes. Nous sommes également engagés avec la Fondation des femmes. C’est important pour moi que tout le monde soit logé à la même enseigne et que la vie personnelle n’ait pas de lien avec la vie professionnelle.
Avez-vous des conseils à donner aux femmes qui voudraient se lancer dans l’entrepreneuriat ?
S. E.-M. : Oui. Premièrement penser à bien se rémunérer et à prendre en compte ses propres contraintes. C’est très important de ne pas se retrouver en burn-out ou en conflit avec sa propre vie personnelle. Il est aussi primordial de bien s’organiser pour que toutes nos contraintes soient intégrées à l’entrepreneuriat. Il faut que ce critère soit absolument non négociable. Je dirais également qu’il faut oser, ne pas écouter ses craintes et surtout ne pas avoir le syndrome de l’imposteur parce qu’on est une femme. Souvent on se créée soi-même ses propres freins. Il faut avoir de l’audace au même titre que les hommes.
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