Judith Förstel, conservatrice en chef au service Patrimoines et Inventaire à la Région Île-de-France, revient sur la naissance au XIIème siècle de l'architecture gothique.
L’ouvrage "L'Île-de-France, un autre patrimoine" s'appuie sur 40 années de recherche à l'inventaire général, et invite à découvrir ou redécouvrir les mille et une facettes du patrimoine francilien : ses églises gothiques et ses châteaux Grand Siècle, mais aussi ses aérogares, ses stades, ses cités-jardins et ses villes nouvelles, en passant par ses paysages de bord de Seine ou ses villages de caractère, qui ont inspiré les grands peintres du XIXe siècle. Découvrez tous les mois un extrait de chaque thématique abordée dans l’ouvrage.
Les flèches du gothique
Dans le courant du XIIe siècle, une architecture nouvelle est née. Nous l’appelons aujourd’hui « gothique », car les théoriciens de la Renaissance l’ont considérée comme un produit de ces temps obscurs dont ils voulaient à toute force se démarquer ; mais pour les hommes du Moyen Âge, c’était tout simplement « l’art français », opus francigenum, qui s’est répandu dans toute l’Europe, comme le fera plus tard, au Grand Siècle, l’« architecture à la française » inspirée de Versailles. Et, comme au temps de Louis XIV, c’est en Île-de-France qu’ont pris corps sinon toutes, du moins bon nombre des expérimentations qui ont permis l’apparition et le développement de cet art novateur.
En effet, le domaine royal capétien a constitué le principal creuset dans lequel se sont fondus des apport venus de différentes régions. L’architecture gothique est traditionnellement associée à la combinaison de deux éléments : la voûte d’ogives, déjà employée en Normandie et en Angleterre, et l’arc brisé, familier aux grandes églises romanes de Bourgogne. Mais ce qui fait sans doute la principale différence entre « roman » et « gothique », au-delà des détails formels que nous avons tous appris à l’école – l’arc brisé contre le plein cintre, la voûte d’ogives remplaçant le berceau –, c’est l’intrusion de la lumière : grâce aux arcs-boutants, le mur s’évide, les volumes intérieurs s’élancent vers le ciel, et l’édifice est irradié par cette lumière qui, comme l’exprimait si bien Suger, manifeste la révélation divine.
Par ses écrits comme par le grand chantier qu’il a lancé à Saint-Denis dans les années 1135-1140, l’abbé Suger peut en effet être considéré comme l’initiateur de l’art gothique en Île-de-France, même si les recherches récentes ont aussi mis l’accent sur d’autres expérimentations menées dans les années 1130 dans des édifices parisiens tels que Saint-Pierre de Montmartre ou Saint-Martin des Champs. Stimulés par l’exemple de Saint-Denis mais aussi par celui des cathédrales de Sens et de Chartres, les artistes et leurs commanditaires se sont rapidement saisis de ce nouveau mode d’expression. Puis cet art s’est affiné, jouant de formes de plus en plus sveltes et graphiques : c’est le style « rayonnant » du roi Saint Louis, celui de la Sainte-Chapelle et du transept de Notre-Dame de Paris, que l’on retrouve à Meaux, à Saint-Sulpice de Favières, à Royaumont.
À la fin du Moyen Âge, le vocabulaire se transforme à nouveau pour prendre des formes flamboyantes, dernier éclat du gothique avant qu’il ne cède peu à peu la place à un style tourné vers les modèles de l’Antiquité classique. Ces quatre siècles d’art « gothique » ont profondément façonné le patrimoine de l’Île-de-France, depuis ses cathédrales, Paris et Meaux, jusqu’aux petites églises de campagne qui jalonnent encore tout le territoire francilien.
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Dossier de presse : Île-de-France : Un autre patrimoine - Unfamiliar Heritage
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