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Avant les Jeux paralympiques. En savoir plus

ÉTUDE Marianne Métais, conservatrice au service Patrimoines et Inventaire de la Région Île-de-France, mène actuellement une étude sur la villégiature. Elle nous présente le sujet, ses aspects essentiels et ses perspectives en termes de valorisation.

Breuillet, villa les Rochettes, Essonne (1905) - Crédit photo : © Laurent Kruszyk, Région île-de-France
Saint-Ouen, Seine-Saint-Denis (1825) - Crédit photo : © Laurent Kruszyk, Région Île-de-France
Meulan, Yvelines, bords de Seine - Crédit photo : © Laurent Kruszyk, Région Île-de-France
Franconville, maison Cadet de Vaux, Val-d’Oise (label Patrimoine d’intérêt régional) (XVIIIe) - Crédit photo : © Laurent Kruszyk, Région Île-de-France
Ecquevilly, domaine de Romainville, Yvelines (vue de la salle des fusils) - Crédit photo : © Laurent Kruszyk, Région Île-de-France
Ecquevilly, domaine de Romainville, Yvelines (1894) - Crédit photo : © Laurent Kruszyk, Région Île-de-France
Montlignon, villa Schoen ou la Mayotte, Val-d’Oise (fin XIXe). - Crédit photo : © Laurent Kruszyk, Région Île-de-France
Samois-sur-Seine, Seine-et-Marne - Crédit photo : © Laurent Kruszyk, Région Île-de-France
Samois-sur-Seine, villa Les Fontaines-Dieu, Seine-et-Marne - Crédit photo : © Laurent Kruszyk, Région Île-de-France
Comment définiriez-vous la villégiature en Île-de-France ?

Marianne Métais, conservatrice au service Patrimoines et Inventaire de la Région Île-de-France : « Villégiature » vient de l’italien villegiare, littéralement « aller à la campagne ». On y retrouve le mot villa, à l’origine une maison liée à un domaine agricole, que possédaient à la campagne les riches Romains dans l’Antiquité. La villégiature des siècles suivants ne s’éloigne guère de cette première pratique puisqu’elle consiste avant tout en un séjour que font des citadins à la campagne dans le but de s’y détendre. On retiendra les notions clés de séjour, plus ou moins long, de campagne, dans son opposition à la ville, et de plaisir. Elle désigne à la fois la pratique et, par extension, la maison dans laquelle elle prend forme, qui n'est plus que rarement, surtout à partir du XIXe s., associée à une petite exploitation agricole.

Lorsqu’on parle de villégiature, on imagine le plus souvent le littoral, la montagne, ou encore une station thermale. L’imaginaire collectif est marqué par ces architectures, chalets de Savoie, maisons à pans de bois, souvent factices de Deauville, ou encore casinos richement décorés, qui accompagnent les bâtiments des thermes. Autour de Paris, bien sûr, le villégiateur ne peut s’attendre à respirer ni l’air iodé, ni celui des sommets mais, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, c’est un air sain et un paysage champêtre qu’il va chercher à quelques kilomètres seulement de son domicile.

Pourquoi la Région Île-de-France s’intéresse-t-elle au sujet ?

M. M. : Lorsque le service régional de l’Inventaire a été créé en Île-de-France, en 1980, la villégiature n’était pas un thème étudié. Et pourtant, au fil de chacune des enquêtes conduites sur le territoire, on a découvert des maisons de campagnes, un peu partout. La méthode de l’inventaire, qui consiste à recenser et documenter l’ensemble du patrimoine sur une zone géographique donnée, est excellente pour identifier des corpus et découvrir l’histoire d’une maison, pour qui et à quelle fin elle a été construite.

Il est donc apparu, après quarante ans d’inventaire et plusieurs études ciblées sur des terres de villégiature bien identifiées, comme le Vésinet ou Élisabethville, que toute la région était constellée de maisons de campagne. L’inventaire aime sortir des sentiers battus et donner à connaître au public un patrimoine méconnu. Celui de la villégiature en Île-de-France en était un, particulièrement foisonnant, qui méritait qu’on lui consacre une étude à part entière.

Quelles sont les singularités de la villégiature sur le territoire francilien ?

M. M. : La villégiature se manifeste d’abord par la richesse et la diversité de ses architectures. Rien de plus séduisant que ces maisons, du château à la villa, qui déploient dans leurs jardins leurs silhouettes découpées, étalent leurs terrasses au bord d’une rivière, embrassent un vaste paysage, invitent à la rêverie et au voyage. Conçues pour profiter de la vue et de la bonne compagnie qu’on ne manque pas d’y rassembler, les maisons de villégiature, quelle que soit leur forme, sont conçues pour plaire et pour qu’on s’y plaise. Il s’agit donc d’un corpus de très beaux bâtiments, très variés dans leurs formes parce que commanditaires et architectes se sentent bien plus libres à la campagne qu’à la ville de faire montre de fantaisie.

La singularité du sujet se révèle ensuite dans la confrontation entre les préjugés qui s’y attachent et ce que l’étude révèle. Imagine-t-on l’Île-de-France comme une terre privilégiée de villégiature ? Sans doute pas de prime abord. Et pourtant il s’agit autour de Paris d’un phénomène massif, ancien et persistant, qui a touché la totalité du territoire et toutes les classes sociales. Environ 1.700 maisons, du XVIIIe au milieu du XXe s., de toutes tailles, ont été repérées dans les 8 départements. L’ancienneté du phénomène tord aussi le cou à l’idée reçue du chemin de fer ayant créé la villégiature. Il l’a indéniablement favorisée dans certaines villes mais le réseau en étoile des routes royales, régulièrement entretenues, permettait déjà sous l’Ancien Régime de quitter Paris. Rambouillet, par exemple, était à 1 journée de carrosse du Châtelet. 

Comment la villégiature a-t-elle modelé la banlieue francilienne ?

M. M. : L’une des formes prises par la villégiature en Île-de-France a été le lotissement. Au XIXe s. on les appelait des colonies, parce qu’elles étaient peuplées par des habitants qui n’étaient pas des locaux. Et pour cause. Le premier lotissement, Bellevue à Meudon, et les suivants, Maisons-Laffitte, le Vésinet, Saint-Maur, Le Raincy, ont été conçus par des promoteurs, banquiers et industriels, dans les grands parcs des anciennes résidences royales pour accueillir les Parisiens en villégiature. Durant leurs premières décennies d’existence, ces colonies étaient majoritairement habitées de façon saisonnière mais, à des rythmes différents, cette occupation, d’abord estivale, est devenue pérenne, donnant naissance à la banlieue résidentielle de Paris, et souvent à de nouvelles villes.

Parallèlement à cette mutation de lotissements issus de la spéculation et conçus comme ensembles, les maisons de campagne individuelles, toujours plus nombreuses, ont elles aussi eu tendance à se grouper. La sociabilité est en effet une notion inséparable de la villégiature : mise au vert ne signifie pas quête de solitude, bien au contraire. Le villégiateur cherche le repos, certes, mais au milieu d’une société choisie. Ces nouvelles maisons juxtaposées ont ainsi entraîné la création d’une voirie, de nouveaux quartiers. Toute une population d’artisans, domestiques, jardiniers, s’est aussi installée à proximité, souvent de façon pérenne.

La villégiature a donc de manière saisissante marqué l’urbanisme et le paysage. Car il ne faut pas oublier que son architecture a aussi créé des archétypes qui ont imprégné la villa résidentielle. Le bow window anglais, cette grande fenêtre en avancée qui permet d’entrer dans le paysage, en est le meilleur exemple. À la campagne, on souhaite profiter du jardin et la maison s’ouvre vers l’extérieur, à travers terrasses et larges baies. Le bow window, est rapidement devenu l’apanage des maisons de campagne au XIXe s. Et on le retrouve au XXe s. dans l’habitat pavillonnaire. Ce ne sont pourtant que la rue, somme toute assez étroite, et le voisin d’en face qui s’offrent à la vue. La fonction initiale, ouvrir sur un panorama, est perdue mais la forme architecturale reste.

Quelles perspectives pour cette étude en termes de valorisation ?

M. M. : Devant un si beau sujet, la Région Île-de-France a décidé de publier un livre pour raconter ce phénomène de la villégiature en Île-de-France dans sa collection Patrimoines d’Île-de-France. Il couvrira l’ensemble du territoire et toute la période moderne et contemporaine. Cette chronologie a été déterminée par le terrain. Même si nous savons par des sources écrites que dès la Renaissance le besoin de fuir Paris, son bruit et ses miasmes, a poussé les citadins, de l’aristocrate au plus petit employé en mesure de rassembler quelque argent, à se mettre au vert, les maisons les plus anciennes encore conservées remontent plutôt aux XVIIe-XVIIIe s.

Une journée d’étude sera également organisée en 2025 et permettra sans doute de comparer les spécificités locales de ce phénomène transrégional, voire européen.

Et bien sûr, comme toujours, les maisons étudiées seront répertoriées et diffusées via la base de données de l’Inventaire inventaire.iledefrance.fr). Les fiches s’accompagnent des très belles photos de nos photographes et sont un régal pour les yeux.

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