Anne-Laure Sol, conservatrice du patrimoine à la Région Île-de-France a commencé en juillet 2016 une étude sur les ateliers-logements d’artistes en Île-de-France. Ce travail de recherche l’amène tout particulièrement à s’interroger sur la forme architecturale qu’a prise l’aide publique dans le domaine de l’aide à la création d’ateliers-logements d’artistes.
Pourquoi travaillez-vous sur un inventaire des maisons-ateliers d’artistes ?
Ce sujet d’étude très spécifique a été encore peu abordé et se trouve à la croisée de problématiques relevant de l’architecture, de l’histoire des politiques culturelles, de l’histoire de l’aménagement du territoire, ou encore de la sociologie du monde artistique. Par ailleurs, il faut savoir que la Région a apporté dès 1981 une aide aux collectivités locales pour leur construction.
Il s’agit de chercher à comprendre les motivations qui ont présidé à la création de ces aides et de rendre compte des solutions architecturales trouvées pour loger l’artiste dans la cité. Il est également intéressant de savoir si ces projets immobiliers étaient exclusivement destinés à loger des populations d’artistes ou s’ils étaient mixtes, deux démarches qui ne révèlent pas la même volonté. Enfin, on peut se demander si ces réalisations d’ateliers-logements répondent à des politiques d’aides différentes, ou encore si les architectes qui ont travaillé sur ces projets ont imaginé des formes innovantes et/ou adaptées à la réalité du foncier à Paris et en Île-de-France.
Pouvez-vous nous expliquer dans quel contexte culturel et social ont été créés ces ateliers d’artistes ?
L’initiative publique en matière de création d’ateliers-logements d’artistes doit être comprise comme un élément de politique culturelle au sein d’une problématique plus globale qui est celle du logement social.
Ainsi historiquement, depuis la période de l’entre-deux-guerres, des aides publiques venant de l’Etat et des collectivités ont commencé à être mises en place non pas spécifiquement pour la construction d’ateliers-logements d’artistes, mais de logements sociaux, notamment pour des familles nombreuses issues du milieu ouvrier. Après la seconde Guerre Mondiale, la crise économique en France dégrade les conditions de logement de la classe moyenne, notamment constituée de travailleurs intellectuels : médecins, avocats, professeurs et artistes. Une attention toute particulière est portée sur cette classe moyenne qui n’a plus les moyens de se loger à Paris. De nouvelles catégories de logements sociaux sont alors créées à cette époque. Des infrastructures d’un meilleur confort sont imaginées et c’est dans ce contexte que des ateliers d’artistes sont aménagés au dernier étage de certains de ces immeubles, les premiers ILM (immeubles à loyer modéré).
Ainsi va se mettre progressivement en œuvre une politique spécifique à échelle municipale et départementale pour encourager la construction d’ateliers-logements. La Région a quant à elle initié une aide spécifique à partir de 1981, qui se traduit par un financement apporté aux collectivités en faveur de la réalisation de cités d’artistes et d’ateliers-logements. Depuis beaucoup de collectivités ont soit intégré la construction d’ateliers d’artistes dans leurs parcs immobiliers mixtes, soit initié la construction de cités d’artistes. Cet âge d’or de la construction d’ateliers d’artistes dure jusque dans le milieu des années 90 et donne ainsi lieu à une expérimentation architecturale et à la diffusion de modèles en Île-de-France.
Est-ce un phénomène propre à l’Île-de-France ?
J’ai interrogé le réseau des inventaires régionaux en France et le retour fût mince. L’initiative publique dans la construction d’ateliers-logements d’artistes est un phénomène essentiellement francilien. On peut expliquer cela par le fait que l’Île-de-France est la région la plus densément peuplée. Cela correspond surtout à une réalité : Paris restant une place déterminante pour le marché de l’art dans le monde, l’artiste souhaite y réussir et y montrer son travail, mais également échanger avec ses pairs. La capitale est aussi historiquement un lieu de formation de l’artiste, et cela explique sa présence en très grand nombre.
De quelle manière organisez-vous votre travail et à quelle étape en êtes-vous actuellement ? Quelle est votre méthodologie de travail ?
Comme mentionné précédemment, j’ai décidé de scinder mon étude en deux grandes périodes, la première étant celle de l’entre-deux-guerres (1923-1939) et la seconde se situe entre 1964 et 1990. Actuellement, je travaille à la définition de mon corpus d’étude pour la première période, constitué des ILM de la ceinture de Paris et de cinq cités-jardins comportant des ateliers d’artistes. La prochaine étape sera de commencer le travail de repérage, puis ensuite celui de sélection du corpus qui durera environ six mois.
Quels grands constats pouvez-vous tirer au stade actuel de vos recherches ?
L’étude approfondie de cités telle que « Montmartre aux artistes » (Paris 18e) permet de mettre en lumière les solutions architecturales, formelles, stylistiques liées à la créativité des architectes, aux contraintes du terrain, ou encore au budget de l’opération. On peut d’ores et déjà relever un certain nombre d’invariants : une grande verrière, la double hauteur, l’attention portée au second œuvre et parfois un système de cour intérieure, proche de l’architecture industrielle que l’on retrouve également dans les courées d’artisans. La grande verrière agit par ailleurs comme un signal dans la ville et permet d’identifier ces lieux de production artistique.
Toutefois il est intéressant de noter que ces éléments ne doivent pas être systématiquement associés aux ateliers d’artistes. En effet, dans les années 30 ont été construits des logements privés dotés de grandes verrières « dans le style » des ateliers d’artistes mais qui en l’occurrence n’étaient pas occupés par des artistes. On peut notamment trouver ces « faux immeubles ateliers d’artistes » autour du parc Montsouris (Paris 14e).
Ces codes de l’architecture des ateliers d’artistes ont été particulièrement appréciés des architectes du Mouvement Moderne, qui s’en sont inspirés pour concevoir des logements privés dès le milieu des années 20. On constate à cette époque une porosité fructueuse entre les réalisations destinées à des particuliers et celles relevant du champ social ou collectif.
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