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REGARD DU CHERCHEUR Brigitte Blanc, conservatrice en chef du patrimoine au service Patrimoines et Inventaire à la Région Île-de-France, mène depuis 2018 une étude sur les grandes écoles et les grands établissements scientifiques et techniques en Île-de-France. Cette étude met notamment en lumière ses évolutions, étroitement liées à l’industrialisation.

Pourquoi la Région Île-de-France a-t-elle choisi d’étudier cette thématique ?

Brigitte Blanc : Cette étude est la suite logique des travaux engagés avec la Cité internationale universitaire de Paris – et publiés en 2017 - sur le patrimoine de l’enseignement supérieur. Les grandes écoles scientifiques et techniques occupent une place centrale dans le dispositif français, mais leur histoire reste mal connue, à la différence de celle des universités franciliennes qui ont bénéficié des développements récents de la recherche (à l’occasion des 40 ans de la loi Faure créant les treize universités parisiennes). Or nombre de ces écoles s’apprêtent à vivre – ou connaissent déjà - des bouleversements majeurs liés à leur regroupement sur le plateau de Saclay ou – bien qu’à une moindre échelle - sur le cluster Descartes créé en 1983 dans l’Est francilien. AgroParisTech, Télécom Paris ou l’ENGREF vont ainsi abandonner leurs sites parisiens, comme Centrale en 2017, l’Institut d’optique en 2006 ou Polytechnique dès 1976, pour prendre leurs quartiers sur ce qui devrait devenir le plus grand pôle scientifique européen.

Dans ce contexte, l’enquête d’inventaire revêt un réel caractère d’urgence, tant pour ces écoles que pour d’autres, telles l’ESPCI (Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles) qui, à défaut d’une rupture dans l’espace, doivent agrandir et modifier leurs locaux pour faire face à la pression des effectifs et aux percées technologiques.

CentraleSupélec, Gif-sur-Yvette, plateau de Saclay - Crédit photo : © Stéphane Asseline, Région Île-de-France, 2019
Bâtiment Eiffel, «agora» centrale desservant les salles d’enseignement et de recherche réparties dans des volumes blancs. Une toiture de coussins translucides en membrane ETFE laisse abondamment passer la lumière naturelle. Agence d’architecture OMA.

En quoi le patrimoine des établissements du domaine scientifique et technique se distingue-t-il de celui des autres établissements de l’enseignement supérieur ?

B.B. : Une des problématiques de l’étude portera précisément sur cette question, celle de la typologie et des agencements spécifiques qui ont pu se développer en fonction des programmes. S’il est trop tôt pour affirmer l’existence d’une architecture originale, distincte de celle des autres établissements, il est certain que les écoles scientifiques disposent d’espaces et d’équipements particuliers, dédiés à la transmission des connaissances : par exemple l’association laboratoire-amphithéâtre qui facilite la présentation des démonstrations expérimentales, la présence de grands ateliers (forges, ajustage, fonderie…) comme à l’Ecole des Arts et Métiers ou de lieux dévolus à la conservation des matériaux de base du savoir : galeries de machines à l’Ecole des Ponts et Chaussées, collections de minéralogie à l’Ecole des Mines, musée de la construction rassemblant des modèles à grande échelle de tous les genres d’ouvrages d’art, à l’Ecole spéciale des travaux publics de Cachan. Partout les espaces se complexifient progressivement et des laboratoires nouveaux apparaissent, en lien avec des disciplines nouvelles et la place toujours plus importante occupée par la recherche.

Ecole nationale supérieure des Mines, Paris 6e - Crédit photo : © Stéphane Asseline, Région Île-de-France, 2019
Grande galerie, collection de minéralogie, une des plus importantes du monde (près de 85 000 échantillons).

Quel est votre champ d’étude ? Quels sont vos critères de sélection pour intégrer les établissements à votre recherche ? Quelle est votre méthodologie ?

B.B. : Au sein du corpus des grandes écoles scientifiques, l’étude a sélectionné les écoles d’ingénieurs, une quarantaine environ, qui présentent des caractéristiques communes. D’abord leur objectif et le contexte de leur création. Celle-ci doit être mise en relation avec les grandes vagues d’industrialisation, de la première révolution industrielle à la révolution numérique : chaque fois qu’apparaît un besoin lié au développement des sciences et techniques, une école spécialisée est créée, soit à l’initiative de l’Etat, pour la formation de ses cadres propres, puis aussi de ceux du secteur privé, soit par une initiative privée.

Ainsi les premières (Ponts, Mines, Polytechnique…) ont fourni à partir du milieu du XVIIIe siècle les cadres techniques et militaires des grands corps de l'État, puis au siècle suivant, les ingénieurs ont investi le secteur industriel, notamment pour concurrencer le modèle anglais puis la domination allemande dans le domaine de la chimie. Les mutations du XXe siècle ont ensuite entraîné un virage vers l’électronique, l’informatique, le nucléaire et l’aéro-spatial.

D’autre part, la sélection a dû tenir compte du fait que la liste des établissements supérieurs désignés comme grandes écoles a considérablement augmenté à la fin du XXe siècle, puisqu’on est passé de 8 sous la Convention à 226 aujourd’hui !

A quelle étape de l’étude en êtes-vous ? 

B.B. : La recherche documentaire est achevée pour une grande partie du corpus : les établissements les plus anciens et les plus prestigieux, dont l’histoire a déjà fait l’objet de travaux, en particulier les Ecoles polytechnique et centrale. Mais elle est plus difficile pour les écoles de création récente dont l’histoire est insuffisamment connue. Dans ce cas, le recours aux archives s’impose. Et d’une façon générale, la question des bâtiments est assez inédite, même si quelques chercheurs comme Christian Hottin ont commencé à s’y intéresser. Ainsi les monographies rédigées à l’occasion des centenaires se penchent avant tout sur la mise en place et l’évolution des enseignements. La campagne photographique est également bien engagée.

Que révèlent ces établissements de leur contexte de construction ? Avez-vous repéré des traits communs et des spécificités ?

Comme mentionné plus haut, toutes ces écoles, dès l’origine et dans l’organisation de leur scolarité, ont des liens solides avec le milieu industriel et bien sûr les grands organismes de recherche. C’est un thème de permanence dans la vie de ces établissements.

Un autre trait commun, en ce qui concerne les bâtiments, tient à leur « nomadisme », du moins dans la première phase de leur fonctionnement. Par exemple, l’Ecole des Ponts et Chaussées a occupé successivement 9 locaux pendant l’intervalle d’une centaine d’années (1747-I845), compris entre sa création et son installation dans l’hôtel de Fleury (rue des Saints-Pères), et, au cours de ses pérégrinations, elle a été transportée dans divers quartiers de Paris.

De même, la plupart, à l’origine, réutilisent des bâtiments préexistants, anciens collèges médiévaux ou demeures particulières, en les appropriant pour leur nouvelle destination et en leur adjoignant des annexes comme des laboratoires ou des ateliers. La construction de bâtiments neufs intervient dans un deuxième stade, les locaux se révélant de plus en plus exigus du fait de l’augmentation des effectifs. L’Ecole centrale s’installe ainsi à côté du Conservatoire des Arts et Métiers en 1884 et Supélec à Malakoff en 1927.

Aujourd’hui le phénomène le plus frappant est le transfert massif d’un grand nombre de ces écoles sur le plateau de Saclay, avec le campus comme référence architecturale commune. L’étude permet ainsi de confronter architecture de la modernité et architecture du passé.

Avez-vous fait des découvertes que vous souhaitez partager ? 

L’importance de la décoration dans les bâtiments, du XIXe siècle au premiers tiers du XXe siècle ! L’exemple le plus spectaculaire est celui de l’Ecole des Mines, avec son grand escalier orné de peintures du paysagiste Hugard, qui avaient une part dans l’instruction des élèves en mettant sous leurs yeux des sites (Mont Blanc, cirque de Gavarnie, Etna…) représentés avec une grande exactitude  géologique, l’artiste ayant voyagé pour les étudier sur place. Les scènes des plafonds dues à Abel de Pujol sont en harmonie avec les études poursuivies à l’Ecole. De même, à l’Institut national agronomique, les amphithéâtres sont ornés de vues champêtres évoquant les productions du monde rural. Il faut mentionner aussi les collections de bustes et les tableaux représentant les fondateurs et les grands professeurs, à la fois hommage et expression du sentiment communautaire au sein de chaque groupe. Les nouveaux campus (ainsi Polytechnique) les présentent aujourd’hui dans leurs halls (ou dans des musées) comme autant de reliques de l’ancienne école.

Ecole nationale supérieure des Mines, Paris 6e - Crédit photo : © Stéphane Asseline, Région Île-de-France, 2019
Le Mont Blanc vu du sommet du Gramont, un des dix tableaux du grand escalier peints par Claude-Sébastien Hugard de la Tour entre 1852 et 1859.

Comment la Région va-t-elle valoriser cette étude auprès des publics, notamment les étudiants ?

B.B. : Outre la restitution traditionnelle – base de données de l’Inventaire et publication de synthèse -, on peut envisager d’autres formes de valorisation : exposition de photos dans les établissements, visites virtuelles ou parcours ponctués de signalétiques numériques, films documentaires, etc. Chaque étudiant pourra ainsi se réapproprier l’histoire de son école et être fier de son appartenance à un réseau francilien d’excellence.

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