Villégiature Le Désert de Retz, à proximité de la forêt de Marly, est un étonnant jardin anglo-chinois datant de la fin du XVIIIe siècle. En attendant la réouverture du site à la visite, le 5 avril 2025, son histoire vous est présentée dans la publication « Châteaux, villas et folies. Villégiature en Île-de-France » parue aux éditions Lieux Dits.
Déjà à l’époque de sa construction, le Désert de Retz suscitait l’admiration de ses contemporains, comme le rapporte Jeanne du Barry dans son Journal : « Le Désert quoiqu’à six lieues de Paris, est devenu aujourd’hui l’objet des promenades des amateurs. Mais on n’y entre qu’avec un billet de Monsieur de Monville qui ne le refuse point aux gens honnêtes. »
Il est vrai que le lieu est aussi exceptionnel que son auteur et propriétaire, François Racine de Monville (1734-1797). Né dans le milieu de la finance, en 1757 il est grand maître des Eaux et Forêts de Normandie mais il revend cette charge en 1764. De fait, le personnage a de multiples passions, peu compatibles avec une activité professionnelle. Il brille à la cour comme danseur, il est un excellent archer, mais aussi botaniste, agronome, musicien, compositeur et, pour ce qui nous concerne, passionné d’architecture. De plus, il a hérité en 1761 de 4 millions de livres et de nombreux châteaux.
Pour la construction, en 1764, de ses hôtels parisiens, le grand et le petit hôtel de Monville, rue d’Anjou, il s’adresse à l’architecte Étienne-Louis Boullée (1728-1799), chez qui il trouve peut-être un écho de ses propres fantasmes. Ces hôtels sont détruits mais connus par des descriptions de contemporains, notamment la pièce la plus remarquable, le grand « salon à la turque ».
C’est à Chambourcy que Monville peut laisser libre cours à son imagination. En 1774, il y acquiert un domaine avec une ferme et ses dépendances. Il engage un élève de l’Académie d’architecture, François Barbier, comme dessinateur pour mettre au propre et réaliser ses fantaisies dans l’aménagement de son « Désert ». Le terme est à la mode depuis la parution en 1761 de La Nouvelle Héloïse de Rousseau. Toutefois cette solitude trouve une autre origine dans la tradition chinoise du « retrait du lettré hors du monde » évoquée par Claude-Henri Watelet dans son Essai sur les jardins.
La publication en 1785 de la Carte générale du Désert atteste que l’essentiel du projet est réalisé à cette date. Les fabriques sont nombreuses. L’entrée même du domaine, placée alors au sud-ouest, du côté de la forêt de Marly, est dénommée le Rocher : une fois franchi le seuil, on se trouve dans une grotte composée d’un amas de pierres. En avançant, on aperçoit à gauche la Pyramide sous laquelle se trouve une glacière, puis, un peu plus loin à droite, le Temple du dieu Pan qui sert de salon de musique. En 1783, Monville ajoute une authentique chapelle en ruine à son domaine. Ainsi, le cheminement vers la Colonne détruite est à la fois chronologique et géographique : les origines, l’Égypte, la Grèce et le Moyen Âge. Sur l’Île du bonheur, une tente « en manière siamoise » sert de salle d’armes. Les nombreuses autres fabriques, Temple du repos, Ermitage, Obélisque, Tombeau ont disparu.

Parmi les premières, inspirée de l’ouvrage de William Chambers, architecte britannique ayant fait ses études en France, la Maison chinoise, qui s’est effondrée en 1967, se trouvait un peu à l’écart, à l’est, dans une partie alors légèrement boisée.
Monville s’y installe en 1778 car c’est une véritable habitation, à la différence des pagodes ou kiosques qui sont érigés à la même époque. C’était un chef-d’œuvre de charpenterie, entièrement en bois de teck. Les panneaux sculptés de motifs géométriques de la façade, leurs couleurs vives, les cartouches à idéogrammes, les poteaux en bambou, la forme du toit en doucine renversée et les ardoises en écailles de poisson étaient autant d’éléments qui évoquaient l’empire du Levant.
De plus, des lanternes de verre et des cheminées en forme de vases de Chine accentuaient la référence. Malgré sa petite taille, la maison comportait toutes les pièces nécessaires à son occupant : vestibule, antichambre, office, cabinet et salon à alcôve au rez-de-chaussée, et, à l’étage, salon de lecture avec une alcôve, bureau et grande bibliothèque. Le décor en était sobre : papier peint blanc à motif floral et toile de Jouy.
La Colonne détruite, « étrange colonne toscane, qui naquit tronquée et le crâne en biseau », selon les propos enchantés de Colette, qui visita en 1950 le domaine en ruine, est une réalisation complètement excentrique. Monville s’y installe en 1782. L’édifice n’est pas d’une grande habitabilité : son diamètre de 48 pieds lui donne une surface de 167 m² par niveau. En très mauvais état lorsque les travaux de restauration ont commencé en 1973, il a été restauré à l’identique, les fenêtres ouvertes ultérieurement pour éclairer le dernier étage ont été supprimées et les fausses fissures rétablies.
La colonne repose sur un soubassement de pierre et une large base. L’idée de la ruine est suggérée par l’irrégularité des parties hautes et par les fausses fissures. L’enduit imite des lits réguliers de pierre. La base de la colonne comprend, sur deux étages, les cuisines et autres pièces de service. Le rez-de-chaussée est conçu dans la tradition des maisons de plaisance : vestibule, salon, salle à manger et une chambre à coucher à alcôve avec ses « lieux » et son cabinet de toilette. Les pièces sont de forme ovale, semi-circulaire ou à pans coupés. Tout autour de l’escalier central hélicoïdal, les espaces en recoin sont aménagés pour le service de la table. Le décor est simple : les murs sont recouverts de toile de Jouy ou de papier peint. Le premier étage compte, à partir d’une antichambre commune, deux appartements avec salon et chambre à coucher qui communiquent chacune avec un laboratoire. Leurs formes sont très variées : circulaire, ovale, carrée, polygonale.
Selon le plan publié par Le Rouge, le deuxième étage était similaire. Mais si l’on en croit le plan de Krafft, on avait au deuxième étage deux grandes pièces ovales abritant la salle de billard et le garde-meuble, une chambre à coucher ainsi que de nombreuses garde-robes distribuées autour de la cage d’escalier circulaire. Enfin, l’étage de comble, sous le toit, prenait jour à travers les fissures et se composait de deux chambres de garçons et d’un grand atelier.

Comme toute maison de plaisance d’importance, le Désert disposait d’une laiterie, d’une métairie et de serres. Monville, qui était aussi passionné de botanique, avait pris soin de commander en 1777-1778 aux serres royales de très nombreuses plantes exotiques. Les plus importantes seront réquisitionnées en 1794 et retourneront à Versailles.
Cette réalisation tout à fait exceptionnelle a suscité des réactions contradictoires. À son habitude, Blaikie, le jardinier écossais, est très critique : « La totalité du parc était un labyrinthe d’allées assez étroites, sans former beaucoup de paysages assez agréables. […] Tout y est petit, compliqué et trop proche ». Mais il est plus admiratif de la Maison chinoise et de la Colonne détruite. Lorsque Monville, inquiet de la tournure que prennent les événements en 1792, décide de vendre son domaine, il trouve en Lewis Disney Flitche, gentilhomme anglais, un amateur enthousiaste qui lui rachète aussi la plus grande partie de son mobilier. Mais en 1793 le nouveau propriétaire doit quitter la France et ses biens sont confisqués.
Sa passion pour le Désert était si forte qu’il le rachète en 1816, une fois la Restauration bien installée. Le Désert sera vendu par ses héritiers en 1827. Plus tard, en 1856, le domaine est acquis et restauré par l’économiste Frédéric Passy et il reste dans la même famille jusqu’en 1936. La Société fermière de Joyenval y voit une opportunité foncière mais ne s’intéresse pas aux bâtiments qui périclitent. La colonne est fendue de haut en bas et risque de s’effondrer. Des travaux de restauration sont financés par l’État à partir de 1973, puis par des mécènes et le Conseil général des Yvelines. La société civile du Désert de Retz est créée en 1984 pour sauver le domaine. Elle permet une première ouverture au public. En 2007, la commune de Chambourcy devient propriétaire du Désert de Retz qui est à nouveau restauré et ouvert au public à partir de 2009.
Texte : Roselyne Bussière
« Ce village est situé à mi-pente, près la petite route de Mantes à Paris, et peu éloigné de la forêt de Saint-Germain. Le domaine de Retz, dit le Désert, contigu à la forêt de Marly, est l’une des habitations écartées du village : il renferme, dans une enceinte de 80 arpens, une tour tronquée d’une solidité à toute épreuve, dont la distribution très singulière a été faite, vers l’an 1780, par M. Demonville. On y voit un pavillon chinois, diverses fabriques et de belles eaux. »
Charles Oudiette « Dictionnaire topographique des environs de Paris jusqu’à 20 lieues à la ronde de cette capitale », seconde édition, Paris, Chanson, 1821
« Châteaux, villas et folies. Villégiature en Île-de-France »
Cet ouvrage, où l’on croise Bellanger, Guimard, Mallet-Stevens, s’appuie sur un corpus de 1 700 maisons, du XVIIIe au XXe siècles. Découvrez un florilège inédit de maisons de plaisance franciliennes.
« De tous les Français, le bourgeois de Paris est le plus champêtre », nous dit en 1841 L’Encyclopédie morale du XIXe siècle. La quête de bon air, dans une capitale densément peuplée, conduit les Parisiens de toutes conditions à se construire des maisons dans la campagne alentour dès le XVIe siècle, imitant la pratique aristocratique d’un partage de l’année entre saison mondaine en ville et beaux jours au vert.
Du château de Champs-sur-Marne (77) au Désert de Retz (78), de la maison Caillebotte à Yerres (91) à la villa Savoye de Poissy (78), du chalet au cabanon, en passant par tous les styles architecturaux, l’Île-de-France s’est couverte de maisons de villégiature, non seulement autour de ses sites les plus enchanteurs, boucles de la Seine, bords de Marne, forêts de Saint-Germain ou de Fontainebleau, mais finalement partout où il était possible de trouver belle vue et bonne compagnie.
Cet ouvrage présente un territoire inattendu en matière de villégiature, l’Île-de-France, dont la richesse des paysages et la fantaisie des architectures estivales n’ont rien à envier à Trouville ou à la Riviera. La banlieue elle-même apparaît sous un jour nouveau, comme l’ultime avatar de havres de paix campagnards et populaires.
Éditions Lieux dits, collection « Patrimoines d'Île-de-France », 256 pages, 300 illustrations, 32 euros.
Partager la page